Les espérances planétariennes

Un socialisme autogestionnaire

NO LEADERLes deux révolutions fondatrices des temps modernes sont la Révolution française, qui a institué la société capitaliste libérale et la démocratie parlementaire, et la révolution soviétique inaugurant les sociétés dites « socialistes » et les « démocraties populaires ».
Chacun de ces deux moments a été accompagné d’une autre révolution, celle de la démocratie de base et de la gestion ouvrière et paysanne. Cette face cachée, écrasée alors, occultée depuis, constitue la base fondatrice d’un socialisme anti-autoritaire.
Un socialisme à venir, à reconstruire. Qui naîtrait de deux mouvements combinés : l’un de retour aux racines ouvrières, aux valeurs positives qui peuvent en constituer le fonds culturel et historique, l’autre de prise en compte des données les plus contemporaines, sociologiques, scientifiques, technologiques, culturelles.
Et qui tiendrait compte de l’expérience accumulée.

1. Les leçons des échecs

La capacité à instituer les bases locales d’une nouvelle société n’a pas suffit. Encore aurait-il fallu maîtriser une conception de la réorganisation sociale globale. Les travailleurs n’y sont pas parvenus spontanément, force est de constater qu’un projet solide leur a manqué.

Trois exemples.

1 – La révolution des soviets en 1917.

Si les soviets ont été une création spontanée, déjà dans de nombreuses situations une distinction serait à faire entre les comités d’usine et les conseils de villes. Dans un cas les ouvriers regroupés dans l’entreprise trouvent aisément les formes d’une démocratie directe : ils élisent leur comité et le dirigent directement. L’organisation du pouvoir ouvrier dans la ville pose déjà la question de la coordination, de la centralisation. Des pratiques politiciennes s’introduisent, inspirées de la politique bourgeoise : par exemple, aux côtés des délégués des travailleurs, on a fait siéger, en tant que tels, des délégués des partis.

Avec la tâche de coordination à l’échelle de l’immense territoire en révolution, l’absence d’un projet s’est fait cruellement sentir, l’ « inéducation » politique des masses en matière de conception globale et d’organisation. Certes, les soviets se rassemblèrent en deux congrès successifs se donnant un conseil exécutif. Mais ce n’est pas à ce comité –contrôlée par les soviets – qu’a été dévolu la tâche de coordonner centralement la révolution et le pays, mais à un gouvernement constitué de A à Z par les parti bolchevique, avec au départ uniquement des ministres bolcheviques, et se proposant dans le feu de l’action insurrectionnelle à la place des organes émanant des soviets. Substitutionnisme d’un côté, délégation de pouvoir de l’autre, aux conséquences désastreuses par la suite.

2 – Le mouvement des conseils de conseils italiens en 1919-1920.

Il réalisa une situation de double-pouvoir, les ouvriers s’armant et tentant de relancer la production et les échanges. Mais il trouva sa route barrée par les groupes de la grande industrie et par les hiérarchies syndicales inspirées par la social-démocratie. L’influence des communistes libertaires y fut réelle, mais la réaction disposera bientôt d’une force décidée : les faisceaux (fascisme). Le confinement des travailleurs à l’intérieur des usines et le refus de la lutte armée par les travailleurs soumis à l’influence social-démocrate, alors que le prolétariat était en situation de force, permirent deux ans plus tard, la montée du fascisme au pouvoir.

 

3 – La révolution espagnole de 1936-37.

Là les travailleurs avaient une culture autogestionnaire importante grâce à l’implantation de la puissante centrale anarcho-syndicaliste CNT. L’anti-étatisme, l’anti-centralisme étaient profonds et ce sont d’abord ses militants qui impulsèrent le mouvement révolutionnaire.

Pourtant l’Etat demeura en place, avec des ministres communistes, socialistes, bourgeois, mais aussi anarchistes, et il entrave le développement des collectivités autogestionnaires, impulsées notamment par les militants de la CNT…

Que s’est-il passé ? Au-delà de toutes les considérations tactiques et historiques, on peut constater que la présence forte, cette fois-ci, d’un projet anti-autoritaire, anarcho-syndicaliste en l’espèce, a nourri et aidée le développement à la base de « l’autre société ». Mais il manquait à ce projet – tel qu’il était largement partagé en tous cas – une conception réaliste du pouvoir, qu’il ne s’agissait plus de « maudire » mais de détruire concrètement comme pouvoir bourgeois, en lui opposant une conception du pouvoir des travailleurs. Une conception alternative à l’étatisme, de coordination générale, contrôlée, de la société, qui ne pouvait passer par la simple reprise des structures syndicales de la CNT projetées en tant que telles sur toute l’Espagne.

2. Étatisme, un bilan globalement négatif

On peut dresser un bilan totalement négatif de toutes les expériences révolutionnaires étatistes et centralisatrices.

Partout la concentration du pouvoir aux mains d’une minorité dirigeante a entraîné la formation d’une couche bureaucratique étouffant toutes les libertés, celles des travailleurs et de la population, et jouissant de privilèges matériels et politiques assis sur l’exploitation des travailleurs. Toujours présentées comme « transitoires » ces dictatures révolutionnaires ont finalement cimenté des systèmes bureaucratiques, oppressifs et totalitaires, aux antipodes de « l’autre société », du capitalisme émancipateur espéré par les travailleurs.

Il faut donc tirer un trait sur toutes références dites positives au socialisme centralisateur et étatiste, marxiste-léniniste :

– La centralisation des moyens de production aux mains de l’Etat n’implique pas une rupture avec le régime d’exploitation et de domination des travailleurs, mais au contraire la passage d’un capitalisme éclaté à un capitalisme centralisé, d’Etat.

– La direction de toutes les activités importantes de la société par l’appareil d’Etat assure la toute-puissance et le développement de la bureaucratie.

– En étatisant toutes les activités sociales on donne tout le pouvoir à une classe bureaucratique privilégiée dont toute l’activité est tendue vers la reproduction et la consolidation des ses privilèges. L’étatisme ne peut être présenté comme une période de « transition » entre capitalisme et communisme : il constitue une nouvelle forme d’oppression des travailleurs.

– Aucun parti politique ne peut s’autoproclamer « avant-garde du prolétariat », prétendre représenter la conscience de toute une classe, vouloir penser à sa place, y compris si « nécessaire » en usant de la répression de masse contre ceux des travailleurs qui n’auraient pas bien saisi la juste ligne de parti.

– La stratégie révolutionnaire de prise du pouvoir par un parti – ou une coalition de partis – puis l’exercice de ce pouvoir, séparé des travailleurs, pour diriger d’en haut le processus révolutionnaires, ne peut que déposséder ceux-ci de la maîtrise de la société. Il ne peut que vider de leur contenu les expériences autogestionnaires de base, transformer les militants révolutionnaires en bureaucrates, étouffer toute démocratie par la dynamique de monopolisation des décisions par le centre et, logiquement, d’écrasement, par le parti qui s’estime investi du rôle dirigeant, de tous les partis concurrents et de toutes les contestations.

Le socialisme à venir ne pourra donc qu’être en rupture avec le léninisme, nous l’affirmons non pas par sectarisme mais sur la base d’un bilan, nécessaire après les échecs accumulés, et d’une analyse des sociétés mises en place en son nom.

Ce n’est pourtant pas dans les projets anarchistes du passé, tels quels, que ceux qui cherchent une autre voie trouveront satisfaction.

S’il ont le mérite de refuser toute bureaucratie, et celui de s’inspirer des aspects anti-autoritaires et autogestionnaires de « l’autre société » spontanément exprimée par les travailleurs, ces projets sont caducs, démentis dans leur simplisme et leur idéalisme par les expériences historiques, et dépassés par les évolutions de la société. Peut-on encore préconiser comme alternative immédiate au capitalisme une société « sans pouvoir » (pas même celui collectif, des travailleurs), sans lois, sans centralisation, proposer une société où chacun et chaque collectivité agiraient à sa guise, fonder un projet global, prétendu valable pour tous, entièrement et seulement sur des valeurs éthiques ?

On trouvera certes dans les contributions historiques des syndicalistes révolutionnaires et anarcho-syndicalistes, des conseillistes, des communistes libertaires, des apports autrement plus concrets et toujours plus utiles, mais ici aussi, tout en y puisant, on ne peut se contenter de pages d’archives largement dépassées.

Le socialisme anti-autoritaire contemporain reste à inventer.

mars 28, 2007 Posted by | Non classé | 2 commentaires